ET OUI, ELLE TOURNE, Entretien avec John Körmeling – 2008

Area Revue)s( No 16 – 2008

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Regarder la même chose d’une autre manière : Happy Street de John Körmeling

La Cité Idéale de Piero della Francesca montre une grande place vide où silence et calme règnent dans un schéma symétrique nettement ordonné. La composition, dominée par un temple rond qui fait penser au Tempieto de Bramante à Rome, invite le visiteur à la contemplation émerveillée. Loin du chaos et du désordre, la scène offre une vision harmonieuse. On peut considérer cette œuvre comme l’une des premières représentations d’une conception de l’urbanisme.

Dans l’atelier de John Körmeling, on aperçoit une petite maquette aux formes sinueuses et souples traversée par une autoroute semblable à des montagnes russes, bordée de maisons aux styles variés. Happy Street est le modèle qu’il a réalisé pour le Pavillon des Pays-Bas à l’Exposition Universelle de 2010 à Shangaï, une cité idéale, mais qui donne l’impression d’une kermesse dans laquelle le spectateur est invité à être l’acteur d’une expérience urbaine dans laquelle la « rue » retrouve sa fonction traditionnelle de lieu de rencontres sociales et urbaines.

Happy Street, John Kormeling

Happy Street est le modèle qu’il a réalisé pour le Pavillon des Pays-Bas à l’Exposition Universelle de 2010 à Shangaï

John Körmeling, né en 1951 a étudié l’architecture à l’Université de Eindhoven. Pourtant, il est plutôt connu aux Pays-Bas comme plasticien dont les idées non orthodoxes et les conceptions inhabituelles le placent à contre courant. Il est le chien dans le jeu de quilles de l’urbanisme et de l’architecture aux Pays-Bas.
Drive in Wheel, est une attraction de foire dont le slogan est « Dans votre voiture dans la grand roue » offre aux visiteurs une vue splendide sur la ville sans quitter leur voiture, est une mise en cause évidente des promeneurs du dimanche qui paraissent sur les routes.
Tous les voyageurs connaissent son grand chandelier Hi Hi, Ha Ha dans le terminal de l’aéroport d’Amsterdam à Schipol, qui arrache un sourire, même à ceux qui redoutent de monter dans un avion.
Humour et ironie sont les caractéristiques de son travail. L’ironie s’attaque surtout aux lenteurs des tracasseries administratives. Ce qui l’amuse c’est la manière dont les problèmes les plus simples sont résolus de manière compliquée.

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ha ha schiphol hi,hi, ha,ha – Schiphol Airport

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Que Körmeling soit invité à réaliser le pavillon Happy Street pour les Pays-Bas constitue une surprise. Il est exceptionnel qu’un artiste devance des bureaux d’architecture dans un concours.
On peut considérer ce projet comme un condensé des idées de Körmeling a développées sur les processus urbains. Il ne s’agit pas d’un schéma rigide prédéfini, mais d’un projet provocateur qui dénonce les conventions architecturales de manière ironique et légère. Tout le travail de Körmeling tout tourne autour de la relation entre l’homme et le rôle qui lui est attribué comme participant dans sa propre infrastructure.

« C’est l’homme qui crée le chaos de la circulation dans les villes aux Pays-Bas. Il ne nous manque pas d’espace, mais ceux qui dirigent les choses ont une idée trop romantique de l’encombrement. Chez nous, on a l’impression que pour être vraiment une ville, il faut des encombrements.»

«Une solution, c’est d’habiter dans la banlieue d’une grande ville, mais cela cause des embouteillages interminables. Les voies de communication qui mènent aux villes ne sont utilisées que deux fois par jour pendant un court moment, et les autoroutes toute la journée. Tout est poussé vers les autoroutes. Les petites routes, comme les routes nationales en France, ont complètement disparu chez nous. Ma solution c’est que le plus grand nombre de gens habitent en bordure d’autoroute. S’il y a besoin d’agrandir les autoroutes, nous pouvons construire des voies parallèles pour la circulation lente. La circulation qui s’accélère puis passe à l’arrêt accroit les les possibilités d’urbanisme. On peut construire plus de voies pour les vélos et les piétons. Les habitants vont alors naturellement jouer un autre rôle. Si l’on mélange à nouveau diverses sortes de bâtiments, on pourra agrandir l’échelle. Il vaut mieux regrouper usines, entrepôts, magasins, logements pour un meilleur fonctionnement. Cela remet tout le monde dans la rue. Les animaux et les plantes appartiennent automatiquement à la circulation lente. En plus c’est écologique, surtout si des énergies propres sont disponibles dans l’avenir. »

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Pour faire face aux problèmes de la circulation, Körmeling a commencé en 1994 par développer une voiture carrée. Le projet est devenu un modèle simple qui est à tous les points de vue pragmatique et pratique. Il fit faire des tests qui montrent que cette voiture est plus aérodynamique et consomme moins que les modèles courants.
«  Les voitures d’aujourd’hui ressemblent à des fusées, ce qui fait penser qu’elles vont vite. Mais elle sont toujours coincées dans les embouteillages, abandonnées comme des pantoufles sans vie. C’est pour cela que j’ai toujours aimé la trouvé la 2CV. La voiture carrée n’est rien d’autre qu’une planche sur quatre roues avec laquelle on peut faire ce qu’on veut. »
Körmeling se bat contre le faux romantisme de la vitesse et de l’aventure et celui de la sécurité d’une banlieue agréable. Sa voiture a davantage de possibilités que la 2CV et est multifonctionnelle. Elle peut servir de chambre sur roue et rattachée à la maison peut faire partie de l’habitation. Elle sera présentée dans le Pavillon des Pays Bas comme objet d’architecture.

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Happy Street donne à John Körmeling la possibilité de mettre ses idées sur les gens, la ville et l’environnement en relation avec l’innovation technologique.
« Mon pavillon sera érigé dans un paysage de polder dans lequel l’intérieur se trouve en fait à l’extérieur. Pour moi ‘Better City, Better Life’ commence par une rue. Happy Street est une rue avec une grande diversité de bâtiments. Pour moi une bonne rue c’est quand toutes les choses se mélangent.

Son livre, A Good Book, offre un panorama des découvertes architecturales que Kormeling a faites au cours de ses voyages et qui ont trouvé leur chemin dans ses projets personnels : il ajoute sur des bâtiments des constructions parasitaires (Billboardhuisje, Pioniershuisje), des mots ou des textes.
En ce moment on construit à Tilburg sa Draaiende Huis (La Maison qui tourne) installée sur une rotonde qui tourne lentement dans la même direction que la circulation. C’est une sorte d’hommage au villages construits en bordure de route. La forme de la maison fait penser aux années soixante, et est coupée sur deux côtés par des murs aveugles.
« L’idée qui m’a conduit à la Maison qui tourne, est en fait empruntée à la pensée des gens qui passent devant en voiture pour se regarder eux-mêmes. Parce qu’ils tournent en m^me temps que la maison, ils pensent naturellement à ce qui rend leur propre maison si spéciale. Mon travail force les gens à regarder la même chose avec d’autres yeux. »

Il raconte que ce pavillon emprunte ses formes aux montagnes russes de foire mais est aussi une rue contre laquelle les maisons sont collées et chacune d’entre elles a une fonction différente. Eclectiques et diverses, elles donnent un aperçu de l’architecture aux Pays-Bas, d’une maison sur les canaux d’Amsterdam au kiosque rococo, de la Rietveld-Schröderhuis à la Maison d’Artistes de Theo van Doesburg, des hangars pour les bulbes de tulipes aux façades des maisons de bord de mer, d’un ‘blob’ de Lars Spuybroek au bâtiment du bureau d’architecte MDRDV.
Le tout est dominé par une vraie couronne qui abrite les salles d’exposition. Cette couronne pleine d’assurance et de pompe est le point d’orgue du projet de Körmeling.
La diversité, la ludicité et la richesse conceptuelle trouvent leur apogée provisoire dans ce bâtiment ingénieux.

traduction: Frédérique Le Graverend

john kormeling

La Maison qui tourne – NRC – Handelsblad 29 02 2008