La Ville des Esclaves, Entretien avec Joep vanLieshout – 2008

Area Revue)s( No 16 – 2008
Entretien avec Ronald Ruseler – Joep vanLieshout

La Ville des Esclaves

L’artiste Joep van Lieshout a créé l’Atelier Van Lieshout en 1995 à Rotterdam, entreprise qui produit des objets d’art, de l’architecture et des arts appliqués. Il est connu pour ses Mobile Homes, des unités multifonctionnelles qui offrent à l’individu l’entière liberté de survivre en complète autarcie. Toutes les pièces de ces projets sont fabriquées par l’Atelier, des gonds de porte à la décoration intérieure, de la cuisine à l’alambic de distillation, jusqu’à une collection d’armes pour se défendre, comme il l’a proposé à Rabastin dans le sud de la France où le maire a fait interdire l’exposition.

Vous considérez l’Atelier Van Lieshout comme une vraie entreprise ?

Autrefois, tous les grands maîtres, comme Rembrandt, avaient un atelier qui travaillait pour eux. Ce n’est pas vrai que les artistes ont toujours travaillé seuls, cela ne fait qu’environ cent ans et depuis la fin du XIX° siècle. Auparavant, les artistes travaillaient à de grosses commandes qui regroupaient toutes sortes de corps de métier ; c’est redevenu aujourd’hui à nouveau tout-à-fait courant. C’est ce qui fait que l’Atelier Van Lieshout se situe au cœur de la société et en fait naturellement partie.

Votre dernier projet s’intitule SlaveCity. Qu’est-ce que c’est ?

SlaveCity est un projet utopiste tout à fait sinistre. C’est une ville organisée de manière rationnelle et pratique. Un camp de concentration contemporain dans lequel les habitants travaillent sept heures par jour dans un centre téléphonique à des tâches comme les services à la clientèle, le télémarketing, les Technologies de l’Information et de la Communication et la programmation informatique. Par ailleurs, ils travaillent sept heures à entretenir la ville, une ville esécologique où l’on ne gaspille pas les ressources limitées de la nature.

Une ville respectueuse de l’environnement donc…

C’est la première ville au monde où l’on ne gâche ni les combustibles non renouvelables ni l’électricité. La ville est entièrement auto-suffisante. Ses besoins énergétiques sont couverts par la bio-énergie, l’énergie solaire et éolienne et le biodiesel.

Est-ce aussi le cas de la Slave University ?

Slave University est le centre scientifique de SlaveCity. Elle comporte douze amphithéâtres empilés les uns sur les autres, l’ensemble recouvert de collines, un environnement naturel. Il y a une Université pour les hommes et une pour les femmes. Les professeurs qui leur donnent des cours sont les seuls à être payés pour leur travail.

Faut-il y voir une vision cauchemardesque ?

L’une des choses qui fondent ma réflexion, ce sont les mentalités. Ce qui est bien et ce qui est mal. L’origine de mon travail c’est l’hypocrisie. Par exemple, la surpopulation ou bien l’exploitation à outrance des ressources naturelles. Il ne faut pas être grand prophète pour voir que très bientôt quelque chose ira mal dans le monde. Ce sont des situations qui réclament notre attention et auxquelles je réfléchis. Je transcris ces réflexions dans mes projets et je les rends visibles.

Votre utilisation des nouvelles technologies et de l’efficacité peut-elle être considérée comme une certaine forme d’optimisme ?

C’est une manière de rendre tout cela acceptable pour les gens, si je peux le dire ainsi. SlaveCity est un modèle qui montre le côté sombre de notre société et rend évidente la différence entre ce qui est bon pour le monde et ce qui ne l’est pas. C’est aux gens eux-mêmes de décider ce que cela implique.

SlaveCity fait involontairement penser à ces pays qui choisissent la prospérité matérielle au détriment de la liberté, comme la Chine…

Pour parler sincèrement, je pense qu’à l’avenir, la dictature sera la seule forme politique qui subsistera dans notre monde. Le capitalisme ne survivra pas. On nous dit : « Consommez, consommez ! Reproduisez-vous comme des lapins ! » Plus il y a d’enfants, plus il y a de clients et ça fait boule de neige. Comprenez-moi bien, il y a des abus inadmissibles en Chine que je défends absolument pas, mais je trouve tout-à-fait intelligente la politique de l’enfant unique, qui fait que le premier enfant est gratuit mais que l’on payer un impôt à l’Etat pour les suivants. C’est une solution économique et efficace. Je suis donc plus en faveur de la Chine ancien modèle, même si elle a commis beaucoup d’erreurs, que de la Chine nouveau style. Elle se transforme en une société capitaliste, ce qui, à mon avis, n’est pas bon. Et bien, c’est le genre de choses qui jouent sans doute un rôle dans mon travail, mais ce n’est qu’une petite partie. Les gens pensent trop en termes de catégories. Dans l’ensemble, ils ont peur de développer des idées qui s’écartent du droit chemin.

Vous considérez-vous comme un utopiste idéaliste ou plutôt un artiste conceptuel ?

Si je dois choisir, je dirais que je suis plutôt un utopiste idéaliste !