Collecter, dit il…, Ruseler entre les œuvres qu’il acquiert

ARTISTE PROTÉIFORME VIVANT À HAARLEM EN HOLLANDE DU NORD, RONALD RUSELER OPÈRE UN VAETVIENT CONSTANT ENTRE LES ŒUVRES QU’IL ACQUIERT
ET CELLES QU’IL CRÉE.

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Depuis l’enfance, je collecte des images. Chez mes parents, j’avais entièrement recouvert un mur de ma chambre d’images ramassées çà et là. Parmi elles se trouvait une gravure de Kees van Dongen qui avait appartenu à ma grand-mère… Malheureusement, mes parents l’ont égarée lors d’un déménagement.

Vous souvenez-vous de votre premier achat ?

Quand j’étais enfant, il y avait chaque année à Haarlem, un marché d’art en plein air. C’est là que j’ai acheté ma première pièce : une gravure de Jan van Wensveen intitulée « Shipped ». Elle m’a coûté tout mon argent de poche, je l’ai encore et je l’aime toujours autant.

Adolescent achetiez-vous souvent des œuvres ?

J’aurais voulu tout acheter, mais je n’en avais pas les moyens. J’ai décidé très
jeune que je pouvais devenir qu’artiste ou collectionneur. Maintenant je fais les deux…

Quand vous êtesvous mis à collectionner régulièrement ?

J’étais étudiant à l’Académie des Beaux-Arts d’Amsterdam. Avec mes camarades, nous échangions des pièces, tout le monde en faisait autant… Mais, le « vrai » début de ma collection est une série de dix gravures vendues par abonnement, Graphique 190. Je recevais tous les trois mois une estampe d’un tirage de 190. Le choix était très éclectique… J’aimais la spontanéité du dessin de la lithographie de Karel Appel. Celle de Roland Topor avait à voir avec l’atmosphère du travail que je faisais à J’époque. Si j’ai plusieurs lithographies de Bram Van Velde, celle de cette époquelà est ma favorite. Ensuite j’ai acheté des œuvres d’artistes que je choisissais moi-même, au départ des estampes, pour des raisons financières évidentes. Et puis je suis passé aux dessins. Maintenant je peux acheter des toiles et des sculptures.

Comment votre collection atelle évolué avec le temps ?

Mon travail a autant changé que mon appréciation de celui des autres artistes… Il y a des pièces que je n’ai plus du tout envie de regarder aujourd’hui, même si elles me plaisaient énormément à l’époque où je les ai achetées. Il reste quand même un groupe d’œuvres qui forment le cœur de la collection.

Quelles en sont les lignes de force ?

Ma collection rassemble surtout des tableaux figuratifs et une majorité d’artistes néerlandais, René Daniels, Marlene Dumas, Rineke Dijkstra, Elly Strik, Koen Ebeling Koning, Frank van Hemert … À une époque j’ai acheté pas mai d’artistes français. Toutes les œuvres que j’achète reflètent les choix esthétiques de mon propre travail. Je regarde les œuvres des autres artistes avec émerveillement : ils font ce que je ne fais pas, mais, émotionnellement, cela a beaucoup à voir… La collection est une extension de mon univers mental, des additions, c’est pourquoi elle est éclectique…

Et que faitesvous de toutes ces œuvres ?

J’aime organiser des expositions d’artistes, une par an chez nous. Et depuis 1983, dans la ville de Haarlem. Il me semble très important qu’une collection privée soit vue par le public.
Le reste du temps, les œuvres sont entreposées. Deux ou trois fois par an, je les sors pour un nouvel accrochage à la maison. Je cherche à créer une certaine ambiance, Les œuvres se répondent les unes aux autres, mais les associations et les combinaisons sont infinies. Cela m’apporte une certaine sérénité.

Quel est le statut du collectionneur dans votre pays ?

Aux Pays-Bas, le nombre de particuliers qui collectionnent de l’art contemporain est très limité, sans doute parce qu’il n’y a pas d’incitation fiscale de la part de l’Etat. Ce sont surtout les grandes entreprises qui investissent dans l’art contemporain et d’une certaine façon décident de l’avenir de l’art, de ce que l’on regardera dans cent ans ! Pour elles c’est l’aspect financier qui prime, Leurs achats visent à donner une certaine image de marque à l’entreprise. il est regrettable que l’Etat ne voit plus l’intérêt à continuer d’investir dans l’art contemporain. C’est un choix politique, qui sousentend que le mécénat d’Etat disparaît. Chacun a le sentiment que l’art et la culture sont en péril aux PaysBas aujourd’hui, Ici, on dit qu’il doit « affronter le feu ».

Y atil des pièces que vous regrettez de ne pas avoir achetées ?

J’ai deux regrets : un dessin de Louise Bourgeois que j’ai vu chez Karsten Greve et une pièce de Brice Marden que j’ai vue chez Montenay à Paris. C’est dommage, mais il faut connaître ses limites financières’ !

Et des envies ?

J’ai vu récemment dans une galerie de très belles photos de pyramides prises en 1890 par un photographe français. J’ai aussi envie d’acheter le dernier travail d’artistes que j’aime beaucoup comme Ronald Ophuis, Rick Meijers ou Gé-Karel Van der Sterren.
Mais j’achète plutôt par coup de cœur, quand je vois quelque chose qui fait écho à mon travail du moment,

De fait, collectionner fait partie de votre démarche d’artiste..

Je passe ma vie à collecter des choses de toutes sortes. C’est un besoin. Je découpe des photos dans les quotidiens et je les colle dans un livre. Elles servent parfois d’idée pour une toile. J’ai des cahiers de mots recueillis çà et là dans la presse. Au fil de mes voyages, je note des noms de villes, de lieuxdits, de marques, d’enseignes. J’ai fait plusieurs toiles à partir de noms de lieux en Amérique latine… J’ai des carnets pleins de dessins, de croquis, de cartes.. Je tiens quotidiennement mon journal depuis au moins vingt ans. J’y note tout qui s’est produit dans la journée sans faire de tri précis. J’ai réalisé de nombreux coffrets dans lesquels se trouvent de petites toiles, des objets conçus à partir de brindilles, de bois flotté ou de coquillages trouvés sur la plage.
Ce sont des collections de souvenirs que chacun peut accrocher comme il le souhaite… Je collecte et collectionne les pensées aussi…

Et les sons…

En effet, il y a des années j’ai enregistré le bruit ambiant dans des bunkers allemands de Guernesey. J’ai collecté les conversations de visiteurs à l’exposition Chambre d’amis à Gand en 1986, ceux d’ouvriers travaillant dans un jardin public à Paris.
Récemment des promenades ont été organisées dans ma ville de Haarlem autour d’un projet intitulé La Nature. Les gens vont de borne en borne avec des écouteurs contenant des enregistrements qui évoquent la nostalgie du passé. Ce parcours sonore est en quatre parties des voix de jeunes garçons en train de jouer qui renvoient à mon enfance ; le clapotis de l’eau des canaux de Venise est un écho de la première Biennale que j’ai vue en 1982 et va bientôt sortir en CD sous le titre Venitian Waters; La Douleur, des collages exposés dans une pharmacie ; et Sol, un enregistrement du moment où, après la douleur, je travaille avec espoir dans mon atelier.