Lex Ter Braak – Le modèle hollandais

ENTRETIEN AVEC
RONALD RUSELER Lex Ter Braak

AMATEUR D’ART CONTEMPORAIN, ANCIEN DIRECTEUR DU MUSEE VLEESHAL A MIDDELBURG, LEX TER BRAAK EST DIRECTEUR DU FBKVB (FONDS VOOR BEELDENDE KUNST, VORMGEVING EN BOUWKUNST LE FONDS POUR LES ARTS PLASTIQUES, LE DESIGN ET L’ARCHITECTURE) QUI COORDONNE LES POLITIQUES DE SUBVENTIONS ALIX PAYS-BAS

Pouvez-vous expliquer le rôle du Fonds pour les Arts Plastiques, le Design et l’Architecture ?

Aux Pays-Bas, le principe est que le gouvernement ne se prononce pas en matière d’Art. Le jugement est laissé à des commissions indépendantes constituées de professionnels directement liés au développement de l’art. Le rôle du gouvernement est de mettre à leur disposition des budgets déterminés par des considérations stratégiques et politiques. Parfois les arbitrages partent du contenu artistique. Souvent c’est un mélange intime des deux. Il ne faut pas croire qu’un secrétaire d’État ou un ministre réinvente tous les quatre ans la politique de l’Art. Il modifie ce qui existe, un peu ici et là.

Les sommes sont pratiquement toujours identiques, elles n’atteignent jamais le 19% du budget de l’État. Elles se trouvent toujours aux alentours de 0,75 %, ce qui est relativement peu, même s’il s’agit de plusieurs millions d’euros…

L’ajustement de la politique peut s’exprimer par une reformulation de certaines priorités, comme cela a été le cas avec le concept de “portée publique” : tous ceux qui recevaient de l’argent du gouvernement avait l’obligation d’attirer le plus de public possible.
Cela a eu un effet de résonance pendant un certain temps. Puis cette directive a été remplacée par la priorité de la “diversité culturelle”, centrée sur la participation des jeunes à la culture. Notre Fonds s’est alors adapté à cette exigence.

Il existe un fonds pour chaque secteur culturel. Sont-ils liés par la politique et la vision du ministre de la Culture ?

Les Fonds sont les prolongements du ministère, avec leurs propres compétences et professionnalité, ce qui peut entraîner des conflits. Ceux-ci sont réglés par consultation avec le ministre de l’Éducation, de la Culture et des Sciences.

Quel type de directeur êtes-vous ?

De manière générale, je dirais que j’ai mes convictions propres et que j’essaie de faire en sorte que les artistes obtiennent le plus possible. Il se peut également que je considère certains critères politiques comme justes. Je trouve que le gouvernement n’a pas tort d’avoir ses orientations, ses exigences et ses souhaits par rapport aux subventions. Les artistes ne sont bien sûr pas tenus de s’y conformer, mais cela sous-tend qu’ils n’obtiennent pas d’argent.

Le Fonds travaille-t-il uniquement pour les artistes ou mène-t-il aussi une politique culturelle ?

Les deux. Pourtant, j’ai le sentiment que nous nous situons plus près des artistes en raison de nos compétences. Nous tenons compte du contenu de leurs souhaits. En même temps nous menons une stratégie culturelle, parce que nous avons notre propre vision pour l’attribution des subventions. Nous agissons de concert avec le ministère, ce qui n’est pas toujours à l’avantage des artistes. Je trouve qu’à l’heure actuelle nous accordons trop d’argent aux artistes. Il vaudrait mieux accorder plus d’argent aux musées. Je peux m’imaginer que les artistes ne partagent pas cette position…

De ce fait les musées joueront un rôle plus important envers les artistes ?

Absolument. Cela donnera aux musées la possibilité de réaliser des productions artistiques coûteuses, ce qui aura des conséquences positives pour les collections et donnera une meilleure visibilité aux artistes. Avec quelques millions de plus, les musées d’art contemporain les plus importants comme le Stedelijk Museum à Amsterdam, le Boijmans van Beuningen à Rotterdam ou le Van Abbemuseum à Eindhoven pourraient mieux se mesurer aux musées étrangers. Ils pourraient aussi montrer de l’art de qualité venant de l’étranger. Pour voir des expositions importantes, il faut aller à l’étranger et c’est le privilège de peu de gens…

Pensez-vous qu’autrefois la politique sociale empêchait d’avoir une bonne politique pour l’art ?

Quand le Fonds a été créé en 1987, on parlait d’une politique nouvelle, mais les éléments sociaux n’en avaient pas vraiment disparu. On peut constater que l’Europe et l’Occident sont devenus immensément riches. Les gens ont assez d’argent pour acheter de l’art et je défends l’idée que le domaine public doit être mis en valeur. Cela n’a aucun sens de maintenir un système coûte que coûte, car l’artiste sera emprisonné par ce système de subvention. Il ne faudrait donner de subventions qu’aux artistes qui recherchent le nouveau, d’autres formes d’expression. Mais à un certain moment, l’art doit se retrouver seul, hors du système de subventions, comme c’est le cas pour la littérature et le cinéma.

Si le marché de l’art se dirige vers le conservatisme quelle doit être la réponse du Fonds? 

Le monde de l’art officiel raille les collectionneurs privés et les musées qui ont une ligne conservatrice basée sur la tradition. C’est injuste. Il doit y avoir une plus grande diversité dans la perception de l’art. Cela mène à une culture plus riche. Aux Pays-Bas, s’est construit une sorte de monoculture due au monopole du gouvernement qui distribue l’argent. De plus, ce sont toujours les mêmes commissions avec les mêmes gens qui partagent les mêmes opinions, et l’atypique n’a guère de place. J’ai beaucoup de mal avec cette culture des commissions ! D’un côté c’est bien sûr un instrument extraordinaire. 
Des spécialistes jugent le travail de leurs collègues. Le désavantage c’est qu’on écarte l’opinion des non spécialistes. Si le monde extérieur pose une question, il n’obtient pas de réponse parce qu’il est soit-disant incompétent.

A l’inverse, je pense que le sens de l’art se crée par la confrontation avec le monde extérieur. En tant que grand amateur d’art, je continue à croire en un monde attaché à l’art.

Cette monoculture a-t-elle des conséquences internationales ?
Existe-t-il de ce point de vue un lien avec le rejet de la Constitution européenne par la France et les Pays-Bas ? Le “non” n’était-il pas aussi le choix d’une identité culturelle propre
 à l’intérieur de l’Europe ?

C’est une question intéressante. Avec beaucoup de précautions, je dirais que le monde de l’art en France comme aux Pays-Bas est relativement national. Il y a encore six ans les artistes néerlandais et français étaient présents dans les grands événements internationaux, les biennales, etc.
Aujourd’hui ce n’est plus le cas, sans doute parce que la protection que le gouvernement offre à ses artistes à un effet contraire à la dynamique internationale.

Si l’on obtient de l’argent facilement, quelle urgence et quel besoin y a-t-il à se confronter à ce grand monde ? C’est compliqué, ça fait peur. Si l’on veut voir de grands maîtres de l’art contemporain, il faut aller à Londres, en Allemagne ou en Autriche, parfois à Paris. Aux Pays-Bas on ne les voit jamais, ce qui donne l’impression que l’art est devenu un phénomène local, national. Dans les années 50/60, quand les Pays-Bas avaient un plus grand dynamisme, les grands musées proposaient des expositions de niveau international.

N’est-il pas important que chaque artiste travaillent en réseau avec d’autres artistes, et cela internationalement ?

Exactement. Le Fonds a créé des résidences à l’étranger. Au début ce système était limité aux pays occidentaux, New York, Berlin ou Paris. Dans notre nouvelle politique, nous cherchons d’autres endroits qui ont de l’importance culturellement, au Proche et au Moyen-Orient et en Asie. De cette manière, le Fonds peut donner sens à la diversité culturelle.

Vous représentez une institution qui stimulera création, mais vous exprimez une certaine réserve vis- à-vis de l’aide à apporter aux artistes ?

C’est une question que je me pose tout le temps. C’est la raison pour laquelle je trouve qu’il faut être très sévère et être certain que le travail d’un jeune artiste vaut vraiment la peine d’être soutenu, pas comme autrefois quand le jeune diplômé des Beaux-Arts bénéficiait quasi automatiquement d’une subvention au bénéfice du doute.

Et les nouvelles formes d’art qui se développent dans les cultures urbaines ?

Je crois que nous devons nous y intéresser. On peut dire que tout le débat lié à la “diversité culturelle” sonne la fin de ce qu’on appelle la “culture dominante”. Aujourd’hui, des cultures existent les unes à côté des autres. De cette fragmentation, il sortira peut-être une culture dynamique constituée de quelques grands talents. Cela implique que le Fonds n’a plus de raison d’être sous sa forme actuelle. Nous nous préoccupons farouchement de la culture dominante, qui n’est qu’une partie spécifique d’une production artistique plus large. Le jour où le Fonds s’intéressera aux artistes graffiti, au hip-hop, aux slammeurs, sa politique devra se transformer. Je suis pour ma part intéressé par l’inconnu et souhaite soutenir ce qui est singulier. ■

geschreven voor Area Revues – 14 maart 2007