L’artiste néerlandais Daan Roosegaarde soulève des questions sur notre avenir.
En liant la nature et la technologie, il cherche à formuler des solutions pour un monde meilleur.
Pourquoi et comment êtes-vous devenu un artiste ?
Enfant, je bâtissais des cabanes dans les arbres, parce que je ne me sentais pas chez moi dans le bloc de béton dans lequel j’ai grandi. Je me baladais et jouais dans la nature pour créer mon propre monde. Mon rêve était de devenir architecte ou artiste, et ce que je fais aujourd’hui vient de là. J’avais ce désir d’explorer et aujourd’hui je construis encore, mais avec des matériaux intelligents. Depuis mes études à l’Académie des beaux-arts d’Enschede, mon rôle d’artiste est de rêver, de penser, de me demander à quoi ressemble le monde et comment faire pour le rendre meilleur. Pour moi, l’art n’est pas un objet dans un musée. Je cherche à trouver l’interaction entre différents mondes et à lier de nouvelles idées à de nouvelles techniques et à des nouveaux matériaux.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
L’une de mes principales sources d’inspiration est le Pavillon Philips que Le Corbusier a construit pour l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958. Ce fut l’un des premiers bâtiments où une construction “en béton” dépendait de la construction “musicale” souple de Iannis Xenakis et est ainsi devenu l’un des premiers projets d’architecture autour de cette musique nouvelle. Maintenant, je suis de plus en plus dans la tradition de l’art du paysage du peintre du 17ème siècle Salomon van Ruysdael et de la “Lumière néerlandaise”. James Turrell et Walter de Maria sont importants aussi pour moi. Parfois, mon travail tend plus vers le poétique comme pour le Lotus Dome de Lille et parfois plus vers le pragmatique, comme la Smart Highway (Autoroute intelligente). Cela dépend de mon obsession du moment.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces réalisations ?
Le Lotus Dome, conçu pour l’église Sainte Marie-Madeleine de Lille en 2012, est composé de centaines de petites fleurs “intelligentes” qui prennent vie et s’ouvrent quand un visiteur approche. Elles sont faites en plastique stratifié qui se dilate avec la chaleur et se contracte avec le froid. Lotus Dome réagit au visiteur et lui laisse parle de l’avenir et du passé : le jeu interactif entre la lumière et de l’ombre est ma vision futuriste de la Renaissance.
La Smart Highway (Autoroute intelligente) se charge à la lumière du jour et donne de la lumière de nuit. C’est le même principe pour le Van Gogh Path, un chemin où Vincent se promenait dans sa jeunesse à Nuenen et qu’il a représenté dans La Nuit étoilée. Nous l’avons transformé en piste cyclable avec des milliers de pierres qui scintillent la nuit comme les étoiles de son tableau..
Nous travaillons aujourd’hui à la Smog Free tower qui doit être installée à Paris
pour la prochaine présidence de l’Union Européenne par les Pays-Bas. C’est un module respectueux de l’environnement qui absorbe l’air pollué et recrache de l’air pur. Dans cette bulle propre les gens pourront à nouveau respirer. Les particules fines sont récupérées, pressées sous haute pression et transformées en bijoux. C’est comme un aspirateur de particules qui produit de l’air pur et des bijoux. C’est le désir de beauté qui nous sauvera et ceci n’est possible qu’en travaillant ensemble, sinon c’est juste de la technique.
Votre travail est polémique… D’un côté, vous vous présentez en tant qu’artiste et de l’autre n’écartez pas les grandes questions ?
Ce serait beaucoup trop limité de montrer mon travail dans une galerie ou un musée, parce que l'”espace public” est très important pour moi, pour pouvoir partager le message avec d’autres. C’est pour cela que mon atelier est une usine à rêves où “message et médium” se rencontrent. Nous partons à la chasse et à la découverte. Je fais partie du Forum économique mondial et j’ai un contact direct avec un certain nombre de PDG et de ministres des Pays-Bas. Donc, je peux influer sur leurs décisions. Mon travail est nourri de la curiosité pour le monde nouveau. Il y a aujourd’hui un réel besoin d’idées nouvelles. À tous les niveaux, on se pose des questions sur l’avenir de la société, et c’est le travail des artistes de leur donner forme. C’est pourquoi je travaille à développer ce studio, où je peux mettre au point une vision avec une équipe de designers, de techniciens et d’experts. Cette coopération est importante car c’est trop complexe pour un artiste d’y parvenir tout seul. Sinon, mon art ne serait que de la décoration.
On peut avoir toutes sortes d’idées et de solutions pour le monde, mais si elle est trop nouvelle beaucoup de gens manquent de l’imagination nécessaire pour la comprendre. Alors, il faut aller dans le monde et expliquer l’histoire, comme l’a fait Theo van Doesburg, le fondateur de De Stijl… Je ne suis pas un artiste coupé du monde, seul dans son grenier. Je veux faire le point sur l’état du monde et le transformer pour l’avenir, grâce à la poésie, de nouvelles idées et de nouvelles technologies. Nous concevons donc tout du début à la fin avec tous les experts disponibles pour assurer la durabilité et la qualité. Nous travaillons maintenant sur des principes qui peuvent être viables sur le long terme, car certains projets doivent résister dans 200 ou 300 ans. Ce sont des défis aux proportions énormes qui réclament des études approfondies.
Vous êtes utopiste…
Cela voudrait dire que je ne tiens pas compte du réel, et ce n’est pas possible. Mon travail a bien sûr un horizon utopique, avec un monde aux énergies propres, amical et poétique, mais en même temps, c’est très concret. Nous travaillons sur l’avenir et nous sommes vraiment des pionniers, Mais je ne vais pas tracer une feuille de route pour dicter ce que le monde va devenir. Ce que nous développons est concret et nous créons vraiment quelque chose. Nous posons les questions sur le présent, pour trouver les solutions pour demain.
Vous vous opposez aux réalités ancrées dans des systèmes immuables ?
Cela m’irrite que les gens prennent le monde tel qu’il est, sans y réfléchir. Nous pouvons le rendre plus intelligent, meilleur et plus beau. Mais nous le faisons pas parce que nous n’osons pas, parce que nous nous considérons comme des consommateurs, et non pas comme des créateurs et parce qu’il y a d’innombrables raisons de ne rien faire.
Les paysages de moulins que Ruysdael peignait présentaient l’avenir de la technique industrielle. J’imagine qu’il y a eu à l’époque des gens qui ont dit : “On ne peut pas, on ne doit pas…”. Aujourd’hui nous allons nous détendre dans ces endroits, pour nous ce sont des paysages chargés de culture. Dans ce sens, c’était aussi une utopie. Aux Pays-Bas, nous vivons sous le niveau de la mer et les vieilles techniques de digues, de machines de pompage et de moulins sont de vraies machines de paysage.
Je considère le paysage non seulement comme du génie civil, mais aussi comme une œuvre artistique, comme le Van Gogh Path. Regarder le passé, la manière dont il a été façonné, regarder vers l’avenir et créer des paysages qui sont économes en énergie. Ce projet a une renommée mondiale parce que tout le monde le comprend sur le champ.
Votre travail parle une langue internationale, mais en même temps il trouve ses racines dans le paysage néerlandais. Au contraire de Mondrian qui s’asseyait ostensiblement le dos à la fenêtre quand il rendait visite à Kandinsky pour ne pas voir les fleurs de marronniers…
C’était bien imprudent de sa part. Il était clairement dans une phase de déni ! (Rires)