Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le travail de l’artiste Néerlandais Hans van Houwelingen interroge la manière dont l’art fonctionne dans l’espace public, son sens et son histoire. Convaincu que d’installer une statue sur un socle ne permes pas d’améliorer la vie dans un quartier, van Houwelingen mène des actions pour créer un environnement social qui rassemble les habitants de toutes origines.
Entre 1992 et 1994, vous avez réalisé un travail intitulé Le Tapis, dans un quartier populaire de Utrecht. Vous avez redessiné le sol de la grand place avec des briques de couleurs différentes selon le motif d’un tapis persan…
C’est un travail que j’ai entamé quand la société multiculturelle est devenu un sujet politique aux Pays-Bas. Les Néerlandais de souche et les nouveaux arrivants vivaient côte-à-côte dans cet ancien quartier populaire, et cela créait des tensions. La cohésion sociale avait presque entièrement disparu et j’avais pour project que les différants groupes puissent se l’approprier ensemble. Il est clair que cet aménagement de l’espace public n’a pas résolu les problèmes, cette place est le symbole du multiculturalisme aux Pays-Bas.
Dans le même esprit, vous avez créé Sluipweg, un permanent formé de centaines de pierres tombales alignées sur un mur de défense d’un fort près d’Amsterdam.
Qu’avez-vous cherché à faire ?
A la mort de ma mère, j’ai été étonné de voir la manière routinière dont on traite la mort. Si autrefois, on achetait un caveau de famille, aujourd’hui cela n’est plus possible, on en loue pour un et quand le temps de location est terminé la mort cesse d’exister. En Allemand, on dit Ruhezeit abgelaufen ( le temps de repos a pris fin) – comme s’il fallait se remettre au travail. Comme il est court ce repos éternel ! J’ai voulu réfléchir à la mort, et récolté j’ai créé un monument en récoltant des stèles partout aux Pays-Bas…
Vous donner ces stèles a-t-il permis aux descendants de renouer avec l’ histoire de leurs aïeux ?
Certains identifient encore la personne à la stèle, qui a maintenant trouvé un nouvel lieu de repose. D’autres ont vu le côté pratique, parce qu’on ne sait pas quoi faire d’une stèle une fois qu’elle ne sert plus. D’autres encore comparent ce monument à une sorte de “sentier de la gloire”, comme ceux dédiés aux gens célèbres, mais pour des gens ordinaires. Le titre, Sluipweg, waarlangs de dood heeft weten te ontsnappen (Chemin de traverse, par lequel la mort a pu à s’échapper) peut donc se comprendre de plusieurs manières.
Quelle influence ce discours a-t-il sur votre manière de travailler ?
Cela fait longtemps que je me suis débarrassé de l’obligation d’exposer dans les galeries, cela ressemble trop au tennis professionnel. Un jour Roland Garros, le lendemain Wimbledon ! Le monde de l’art est, à mon goût, trop dominé par ce qu’on appelle les “professionnels” : les collectionneurs, les commissaires d’expositions, les galeristes, etc. Je comprends bien pourquoi, mais je préfère marcher dans une rue car cela permet de comprendre de quelle manière complexe une ville s’est constituée, c’est beaucoup plus vivant. J’essaie d’imaginer dans quelle constellation culturelle et politique elle s’est développée. Prenez la Piazza Navona à Rome, avec la fontaine du Bernin, son obélisque égyptienne et son un crucifix chrétien porté par des nus lascifs. Cette beauté politiquement incorrecte me donne la chair de poule. C’est cette tension qui m’attire et me fait ressentir le génie des lieux.
Vous recherchez cette tension, mais elle vous est aussi offerte.
Tout à fait ! Lorsque je m’intéresse à quelque chose qui existe, toute ma satisfaction se trouve dans le fait d’y réfléchir dans un contexte plus large. Des villes entières ont été victimes des lois du marché. En fait, c’est absurde que l’on accorde tant de valeur au caractère autonome de l’art. On parle d’une œuvre, sans la placer dans l’environnement dans lequel elle fonctionne. Beaucoup de décisions et de réglementations de l’espace public sont basées sur les habitudes. Elles s’imposent et en général elles sont basées sur des évidences qui deviennent par la suite inébranlables. C’est la tâche de l’artiste
d’anticiper, de rompre avec les habitudes et de proposer davantage de clarté dans la manière de penser.
Y a-t-il des monuments du passé proche qui sont disharmonieux, mais en deviennent par là-même précisément très beaux ?
Ce qui pour l’un est une notion fausse est pour l’autre une notion qui fait sens.
Je trouve les monuments intéressants précisément , quand ils me crient à l’oreille et me disent quel chemin ma pensée doit prendre. Mais on considère le patrimoine culturel de manière politiquement correcte, alors qu’un lieu politiquement incorrect en dit bien davantage sur la manière dont une société s’est formée….
traduction: Frédérique Le Graverend